La maison, c’est notre corps plus grand.
Je suis partie de ma maison
Que j’avais investie saison après saison
Bêchant le jardin, chaque parcelle retournant
Plantant, arrachant, remuant.
Et maintenant que tout est fini
Il n’y a plus que des pommes pourries
Il n’y a plus d’âme, il n’y a plus d’iris
Ce jardin qui était mon corps est désormais dépeuplé
Attendant un nouveau propriétaire qui l’habitera autrement.
Je ne sais pas pourquoi je suis revenue ici
Je ne reconnais plus rien, tout est vide autour de moi,
Je me sens à côté de mon corps
Je dois couper les liens de tous ces attachements
Laisser place à un autre, à l’Autre
Car rien ne m’appartient.
Mon âme s’est déplacée pour un ailleurs
Que je dois investir.
Je dois me renouveler.
Alors au milieu du chemin,
Des images se bousculent dans ma tête
Je pense à ma première migration
Celle qui m’a permis d’être qui je suis aujourd’hui
Libre et confiante.
La sortie de ventre de ma mère.
J’ai migré du cocon vers un monde où la survie tient à l’adaptation
Je suis tombée du lit à l’hôpital, le jour de ma naissance
Destinée à la mobilité, à l’exil, à l’itinérance
Ce qui a valu à ma mère
Des coups de « wastique » de la part de son père.
Ma mère à son tour ne m’a pas gardée auprès d’elle
Elle m’a offerte au monde et j’y ai fait mes premiers pas
Elle m’a confiée à sa famille où je n’ai su que plus tard
Qui était MON père, qui était MA mère.
Tous mes oncles et tantes l’étaient : mes mères et mes pères.
Ma mère ne m’a jamais enfermée, ni jugée
Elle n’a jamais projeté sur moi une destinée
Je lui en ai voulu parfois
Mais elle savait que ma route était toute tracée
Grand-Mère aurait pu me retenir,
Quand il a fallu quitter sa maison à la préadolescence
Entamer le processus de transhumance
Mais elle a choisi, elle aussi, de me confier à une nouvelle vie
Cela me donne aujourd’hui
Cette grande sensation de liberté, d’être qui je suis
Qui n’a que des possibles pour avenir.
Lorsqu’il a fallu choisir un chemin de vie,
Grand-Père devant la grande assemblée
À d’autres mains, m’a confiée
Je n’ai jamais oublié ce moment où,
Me prenant par la main d’où j’étais
Assise au milieu d’eux,
Assise au milieu de ma famille
Il me conduisit à l’autel, me disant :
« Désormais c’est ici ta place. Désormais ta famille, c’est bien celle-ci ».
La migration n’est pas seulement
Le déplacement d’un lieu à un autre
C’est aussi le changement d’une situation à une autre
L’abandon d’un état de vie à un autre
Le passage d’une relation à une autre
La traversée d’une saison à une autre
Le voyage d’un état intérieur à un autre
La nature nous montre le chemin
Tout au long des saisons, elle se meurt et se recrée
Se renouvelle à son gré et passe le témoin
Migrer c’est une traversée que la mort accompagne,
Mais la vie également
Je ne suis que passeuse et,
Je suis aussi médium, je suis médiatrice,
Je suis transmetteuse,
Je ne suis relayeuse,
Peu importe le mot, je passe juste mon chemin,
Migrante… vers l’éternité.
Sabine Mengue est née au Cameroun et vit actuellement en France. Après des études en Théologie et en Management de projets internationaux, son parcours personnel et professionnel l'amène à voyager depuis près de trente ans à travers le monde. La transmission, l’histoire et la construction d’un monde meilleur nourrissent ses réflexions. Auteure du recueil de poésies Posie Berry et du roman historique 'Et les femmes se sont tues', tous deux parus en 2023, Sabine Mengue écrit aussi des contes et scenarrii de BD