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Sabine Mengue : Migrante vers l’éternité



La maison, c’est notre corps plus grand.

Je suis partie de ma maison

Que j’avais investie saison après saison

Bêchant le jardin, chaque parcelle retournant

Plantant, arrachant, remuant.

Et maintenant que tout est fini

Il n’y a plus que des pommes pourries

Il n’y a plus d’âme, il n’y a plus d’iris

Ce jardin qui était mon corps est désormais dépeuplé

Attendant un nouveau propriétaire qui l’habitera autrement.

 

Je ne sais pas pourquoi je suis revenue ici

Je ne reconnais plus rien, tout est vide autour de moi,

Je me sens à côté de mon corps

Je dois couper les liens de tous ces attachements

Laisser place à un autre, à l’Autre

Car rien ne m’appartient.

Mon âme s’est déplacée pour un ailleurs

Que je dois investir.

Je dois me renouveler.

 

Alors au milieu du chemin,

Des images se bousculent dans ma tête

Je pense à ma première migration

Celle qui m’a permis d’être qui je suis aujourd’hui

Libre et confiante.

 

La sortie de ventre de ma mère.

J’ai migré du cocon vers un monde où la survie tient à l’adaptation

Je suis tombée du lit à l’hôpital, le jour de ma naissance

Destinée à la mobilité, à l’exil, à l’itinérance

Ce qui a valu à ma mère

Des coups de « wastique » de la part de son père.

 

Ma mère à son tour ne m’a pas gardée auprès d’elle

Elle m’a offerte au monde et j’y ai fait mes premiers pas

Elle m’a confiée à sa famille où je n’ai su que plus tard

Qui était MON père, qui était MA mère.

Tous mes oncles et tantes l’étaient : mes mères et mes pères.

Ma mère ne m’a jamais enfermée, ni jugée

Elle n’a jamais projeté sur moi une destinée

Je lui en ai voulu parfois

Mais elle savait que ma route était toute tracée

 

Grand-Mère aurait pu me retenir,

Quand il a fallu quitter sa maison à la préadolescence

Entamer le processus de transhumance

Mais elle a choisi, elle aussi, de me confier à une nouvelle vie

Cela me donne aujourd’hui

Cette grande sensation de liberté, d’être qui je suis

Qui n’a que des possibles pour avenir.

 

Lorsqu’il a fallu choisir un chemin de vie,

Grand-Père devant la grande assemblée

À d’autres mains, m’a confiée

Je n’ai jamais oublié ce moment où,

Me prenant par la main d’où j’étais

Assise au milieu d’eux,

Assise au milieu de ma famille

Il me conduisit à l’autel, me disant :

« Désormais c’est ici ta place. Désormais ta famille, c’est bien celle-ci ».

 

La migration n’est pas seulement

Le déplacement d’un lieu à un autre

C’est aussi le changement d’une situation à une autre

L’abandon d’un état de vie à un autre

Le passage d’une relation à une autre

La traversée d’une saison à une autre

Le voyage d’un état intérieur à un autre

 

La nature nous montre le chemin

Tout au long des saisons, elle se meurt et se recrée

Se renouvelle à son gré et passe le témoin

Migrer c’est une traversée que la mort accompagne,

Mais la vie également

Je ne suis que passeuse et,

Je suis aussi médium, je suis médiatrice,

Je suis transmetteuse,

Je ne suis relayeuse,

Peu importe le mot, je passe juste mon chemin,

Migrante… vers l’éternité.




 

Sabine Mengue est née au Cameroun et vit actuellement en France. Après des études en Théologie et en Management de projets internationaux, son parcours personnel et professionnel l'amène à voyager depuis près de trente ans à travers le monde. La transmission, l’histoire et la construction d’un monde meilleur nourrissent ses réflexions. Auteure du recueil de poésies Posie Berry et du roman historique 'Et les femmes se sont tues', tous deux parus en 2023, Sabine Mengue écrit aussi des contes et scenarrii de BD

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