Lorsque, rentrant de mon dernier poste diplomatique à l’étranger, les Affaires étrangères me confièrent les fonctions d’Envoyé spécial pour la Migration & l’Asile, je fus très vite confronté à une délicate question morale, d’autant plus sensible qu’elle s’articulait dans un contexte juridique et politique voulant que chacune des thèses en présence soit, sinon légitime par rapport au droit, du moins respectueuse des obligations constitutionnelles, légales et réglementaires. Il s’agissait de concilier les exigences du droit humanitaire et du respect des droits de l’homme avec les contraintes politiques de nos gouvernements européens, celles de contrôler et d’endiguer le flot des migrants, ceci pour des raisons tenant à la fois des exigences de sécurité nationale dans chacun de nos Etats et d’un refus, quelle que soit la forme qu’il pouvait prendre et les mots qui l’exprimaient « d’accueillir seul toute la misère du monde.On sait à quel point cette question de la solidarité de l’accueil des migrants – en fait des seuls réfugiés politiques, des bénéficiaires de protections spéciales et des demandeurs d’asile - divise les Etats membres de l’Union européenne et est à l’origine sinon de toutes les frustrations des citoyens européens ayant démocratiquement élu des gouvernements dits populistes, du moins de la défiance envers les politiques européennes. On sait aussi que cette peur des « invasions barbares » s’appuie sur des faits erronés et repose sur une conception étriquée de ce qui constitue l’identité nationale et culturelle des Etats et leurs spécificités propres.
Le paradoxe est que d’aucuns qui se réclament de la protection de l’identité chrétienne de nos Etats, plutôt de leurs origines judéo-grecques, oublient, dans leur peur et leur refus d’accueillir l’étranger, les principes de fraternité qui forment le fondement du Christianisme. L’Evangile de Matthieu rappelle cette parole du Christ disant « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli », des préceptes que Saint Paul amplifiera en nous invitant à persévérer dans l’amour fraternel : « N’oubliez pas l’hospitalité ; quelques-uns ont, à leur insu, logé des anges ». Ce commandement d’accueillir et d’héberger l’étranger repose déjà sur la loi juive, puisque le Livre de l’Exode oblige à ne pas opprimer l’étranger et le Lévitique le complète de remarquable façon : « l’étranger qui séjourne parmi vous sera comme celui qui est né parmi vous et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte ». Sans être aussi explicite dans l’affirmation de la fraternité et de l’errance commune des hommes, le Coran n’est pas en reste puisque le Livre saint garantit la protection du demandeur d’asile, qu’il soit musulman ou non musulman. Le Coran souligne aussi sinon la sainteté et, du moins, la vertu et la dignité de ceux qui aident leurs prochains dans la détresse : « … ceux qui … ont donné refuge et porté secours, ceux-là sont les vrais croyants : à eux le pardon et une récompense généreuse ».Les religions et philosophies plus lointaines d’Asie comme les Upanishad affirment dans une mantra (et ce au XVe siècle avant Jésus Christ) que l’étranger sera reçu, car plus qu’envoyé par Dieu « il est semblable à Dieu », un concept que l’on retrouve aussi dans le canon bouddhiste dit des Trois Corbeilles qui invite à cultiver vis-à-vis de soi-même comme pour tous quatre états d’âmes : la bienveillance, la joie, l’équanimité et la compassion.
Certes les législations contemporaines ne s’embarrassent pas de prescrits religieux et nos gouvernements pourraient être tentés d’en négliger la dimension morale et humanitaire : toutefois nos gouvernements européens sont tous tenus par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qu’ils ont ratifiée dont les articles 1er, 2, 4, 6, 7,9 et 13 sont particulièrement explicites quant au respect du droit , de la dignité et de l’accueil de l’étranger quel que soit son statut administratif, de même qu’ils sont signataires de la Charte européennes des Droits de l’Homme, plus restrictive certes, mais dont les articles 6, 19, 20, 21 et 53 ne pourraient être négligés.
Dans un prochain texte j’aborderai la question du « courage de l’hospitalité » qui nous mènera, dans un troisième texte à la vocation de la Fondation Josefa.
Michel Lastschenko : Ambassadeur Honoraire de Sa Majesté le Roi des Belges. Ancien Envoyé Spécial pour la Migration et l’Asile et Directeur des Droits de l’Homme.