Il sera remarqué que le mot « migrant » est utilisé ici au participe présent et non comme nom commun. Ainsi, cette interlocution me parait plus intrigante, mais également plus juste et plus sensée, envers l’être-humain que si ce mot avait un « s » à son bout. Elle tend, pour moi, à indiquer le mouvement dans lequel je suis, comme un état-migrant, si tant est que je sois à l’écoute des deux dimensions fondamentales qui semblent me constituer et qui s’entrecroisent sans cesse : mon for intérieur – celui qui vibre profondément au cœur, au gré des harmoniques de mon Histoire personnelle – , et mon for extérieur – celui qui me relie à la note sublime et ultime de la musique quantique, celle que Dieu m’a gracieusement donné de connaitre, c’est à dire de naitre-avec, et dont personne n’est exempte - qu’elle que soit la représentation de l’objet-dieu faite par le langage humain utilisé dans sa psyché. Cette représentation m’ayant été donnée par le dévoilement de la foi ainsi entrée en mon histoire, j’ai pu, migrant, commencer à me considérer croyante et laisser Dieu prendre place dans ma vie.
Cette migration-conversion fut pour le moins inattendue, radicale, voire effrayante pour certains. Elle a, en effet, effondré les fragiles fondations que j’avais bâties, au gré des aléas et des rencontres jusqu’alors, me permettant de reconstruire, de pouvoir enfin jeter l’ancre et me sentir croître. Cette migration fut finalement salvatrice.
En termes d’analogie, je me suis posé la question de ce qui était, autour de moi, le plus symboliquement migrant. Et finalement, quoi de plus symboliquement migrant, vibrant, que l’alternance inexorable des saisons, du moins dans l’hémisphère nord de notre planète. Ces quatre temps qui sans cesse nous rappellent au mouvement de l’espace-temps et à la migration perpétuelle de la nature. Quatre temps qui, chacun en soi, perceptiblement ou imperceptiblement selon que nous y portons plus ou moins attention, migrent au gré des jours et des nuits, des heures et des secondes, au gré de la vie biologique dont ils sont fondateurs. Et avancent vers un destin d’éternité. Des bourgeons sans printemps, de la neige sans hiver, des châtaignes sans automne, des fleurs sans été ? Dieu, que cette liturgie biologique est belle ! A l’image de son Créateur. Eternel est son amour migrant, insaisissable. Cette migration-là, de la nature, tant par ses resplendissements que par ses violentes déchirures, m’évoque la vie humaine : la vie enfance, la vie jeunesse, la vie maturité et finalement la vie sagesse.
C’est à Vivaldi que je dois cette analogie, car il n’y a pas de plus belle musique à mes sens que ses quatre saisons pour dire nos migrations, parfois si douces, parfois si violentes.
Ma vie est migration nourricière, elle est passage en permanence d’un état à un autre, de l’extrême micro à l’extrême macro, les deux échelles que l’homme s’acharne si frénétiquement à maitriser. Insaisissable donc. Et je vois l’homme sur cette ligne de vie, je me vois, en ce point d’équilibre qui se trouverait au centre de ces deux pôles – et dont rien ni personne ne peut mesurer ni la hauteur, ni la largeur, ni la longueur, ni la profondeur.
Je suis née à la vie insaisissable et mutante de cet ordonnancement divin.
Ainsi je suis, migrant.
Annabelle
Annabelle Roig-Granjon est entre l’âge mur et l’âge sagesse. Polyglotte, elle évolue au sein des sphères politico-institutionnelles depuis plus de 25 ans, à travers un prisme juridique et diplomatique et ce, dans les domaines dits de la migration et de l’asile. Elle est mariée et a une fille.